Emma Kirke est impliquée dans le programme Campus de la réalité climatique à l'université de Waterloo. Elle croit au pouvoir du récit des histoires vécues pour promouvoir des solutions durables. Elle est spécialisée dans la conservation de la biodiversité et les politiques publiques et s'intéresse particulièrement à l'application de solutions climatiques basées sur la nature au niveau municipal. Emma a participé en décembre dernier à la COP 15, en tant que membre de l'Association canadienne pour les Nations unies (ACNU).
Vous avez participé à la COP15 en tant que membre de la délégation jeunesse de l'ACNU. Selon vous, comment les jeunes contribuent à la discussion et influencent les négociations ?
En tant que jeune déléguée de l'Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU), mon rôle était d'écouter et d'apprendre, tout en étant un témoin de ce que beaucoup ont espéré être un moment décisif pour arrêter la perte de biodiversité et encourager des efforts monumentaux afin de restaurer ce qui a déjà été perdu. Tout au long de la conférence, j'ai apprécié la compagnie des autres délégué.e.s de l'ACNU, pour apprendre à tirer le meilleur parti d'une opportunité aussi incroyable.
Même s'il n'y avait pas beaucoup de jeunes autour de la table des négociations, j'ai pu constater l’importance de notre rôle consistant à informer et être le porte-parole des générations futures. Ces dernières années, le nombre de jeunes délégués à ces forums a considérablement augmenté avec la montée du mouvement des jeunes pour le climat et je pense que notre présence est importante pour rappeler à ceux qui siègent à la table des négociations que nous comptons sur eux pour assurer notre avenir. En tant que représentants de la génération qui héritera de l’avenir que l'accord vise à garantir, nous ne serons pas des participants passifs au moment de passer à l'action le mettre en œuvre. Ma génération choisit de plus en plus des emplois épanouissants, qui touchent directement aux enjeux dont nous discutons collectivement lors de conférences comme la COP15. En tant que futurs ancêtres, nous avons la responsabilité de continuer à faire pression sur nos décideurs pour qu’ils honorent les engagements qu'ils ont pris et à plaider pour que leur mise en œuvre soit juste.
Lors des négociations, quels aspects parmi les 23 objectifs du cadre mondial pour la biodiversité ont été les plus intéressants pour vous et pourquoi ?
Tout au long de la conférence, les deux objectifs que j'ai suivis le plus étroitement étaient les objectifs 8 et 18. L'objectif 8 se concentre sur la minimisation de l'impact du changement climatique et de l'acidification des océans, avec une référence spécifique à l'atténuation, l'adaptation et la réduction des risques de catastrophe. J'ai aimé suivre la discussion qui se concentre sur les solutions basées sur la nature – dans la continuité de mon sujet de mon mémoire de premier cycle - et de ses ramifications, afin de les prendre en compte pour les appliquer au contexte actuel. Je me suis également intéressée à l'objectif 18 en raison de l'importance d'éliminer les subventions nuisibles et d'intensifier les incitations positives pour la conservation et l'utilisation de méthodes durables. J’ai aimé écouter les diverses organisations, qui ont pris la parole pour apporter leur point de vue. Compte tenu de la réalité de la perte de biodiversité que la planète connaît encore aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à subventionner des activités nuisibles alors que nous essayons de financer la restauration. La réalité est que le financement est extrêmement important pour garantir que nous prendrons les bonnes mesures pour aller de l'avant. C’est pourquoi, nous ne devrions pas financer des activités qui continuent de remettre en question l'avenir de ma génération.
J'ajouterais également que dans la section relative aux considérations à prendre en compte pour la mise en œuvre du cadre, il y a une reconnaissance importante du rôle que l'éducation formelle et informelle joue dans la capacité de mettre en œuvre le cadre avec succès.
Pendant la COP15, qu'avez-vous vu et appris en termes d'application de solutions climatiques basées sur la nature au niveau municipal ?
Tout au long de la COP15, les solutions basées sur la nature ont été saluées pour leur potentiel et pour apporter de nombreux avantages, en particulier au niveau municipal. J'ai ainsi assisté à plusieurs événements sur le sujet. Un élément des discussions encourageant était la reconnaissance de la nécessité d'une norme pour les solutions basées sur la nature et l'importance de l'implication des peuples autochtones et des communautés locales dans de tels efforts. Toutefois, l'utilisation abusive du terme solutions basées sur la nature a souvent donné des exemples frustrants où, par exemple, des espèces non indigènes ont été plantées par des travailleurs migrants au lieu de s'associer à des groupes locaux pour remplacer la biodiversité perdue. Dans l'accord final, les solutions basées sur la nature sont explicitement mentionnées dans l'objectif 12 dans la mesure où elles peuvent apporter des avantages à la fois au bien-être humain et à la biodiversité en renforçant la résilience aux impacts climatiques au niveau municipal.
Au cours d'une session à laquelle j'ai assisté avec Deloitte Canada et Nature United, cela était prometteur d'entendre à quel point le secteur des entreprises cherche à investir dans la création de partenariats avec des groupes autochtones dans le domaine des solutions basées sur la nature. J'ai hâte de voir d'autres exemples de collaboration fructueuse au Canada, qui pourraient nous permettre d'être un chef de file dans ce domaine sur la scène internationale.
Comment votre expérience à la COP15 peut-elle se traduire localement en plaidoyer ? Y a-t-il des idées provenant de ce que vous avez vu à la COP 15 que vous utiliserez dans le cadre du programme Campus de la réalité climatique à l'université de Waterloo ?
En assistant à la COP15, j'ai été surprise par le nombre d'entreprises qui ont envoyé des représentants pour assister à la conférence. Alors que les nations autochtones, les gouvernements et la société civile jouent actuellement un rôle de premier plan dans la conservation de la biodiversité, le secteur privé devrait idéalement jouer un rôle dans la solution plutôt que dans le problème. Afin d'être en mesure de contribuer aux solutions, le secteur privé doit être en mesure d'embaucher des diplômés, qui ont cette base de connaissances sur la durabilité pour contribuer positivement au changement de paradigmes.
Je vais mettre à profit cette expérience en organisant un panel de discussions pendant la semaine d'action sur les objectifs de développement durable en mars. Ce panel va se concentrer sur l'importance de l'éducation des jeunes à la durabilité à partir du postsecondaire afin de créer une force de travail résiliente. Nous avons invité les chefs de file de l'industrie et les défenseurs de l'éducation dans le domaine de la durabilité à se réunir pour plaider en faveur d'une plus grande intégration de l'éducation durable au niveau postsecondaire.
Selon vous, en tant que jeune déléguée, quelles ont été les plus grandes difficultés, mais aussi les plus grands succès de la COP15 ?
J'ai quitté la conférence avec des émotions mitigées. D'une part, il y a eu une reconnaissance historique des droits des peuples autochtones et de leur rôle essentiel dans la protection de la biodiversité. Bien qu'ils ne représentent que 5 % de la population mondiale, les peuples autochtones gèrent 80 % de la biodiversité mondiale. Une partie importante du travail de conservation dans de nombreux endroits dans le monde où la biodiversité est un enjeu central comprend la reconnaissance du régime foncier coutumier des communautés autochtones et de leurs droits à gérer ces lieux. La reconnaissance de ces droits dans un accord international - qui est inévitablement le produit d'un système basé sur des normes eurocentrées - est une avancée historique. Le Canada a également annoncé un financement sans précédent pour la conservation dirigée par les peuples autochtones.
Toutefois, j'ai eu l'impression que la conférence n'a pas été à la hauteur en ce qui concerne l'importance de la conservation des océans. C'est un domaine difficile à aborder puisque la majeure partie de l'océan se trouve en dehors des zones économiques exclusives où les États-nations ont une juridiction claire. Alors que l'on estime que les océans contiennent 80 % de la biodiversité mondiale, celle-ci n'est mentionnée qu'à deux reprises dans l'accord final. J'ai hâte d'assister à la Conférence internationale sur les aires marines protégées en février en tant que jeune délégué de la Sustainable Ocean Alliance, où ces questions seront discutées plus en détail.
Enfin, tout au long de la conférence, j'ai acquis une nouvelle appréciation du degré de liberté dont je dispose au Canada en tant que personne engagée dans le domaine de la biodiversité. En participant aux événements et aux sessions de la société civile avec le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l'homme et l'environnement David Boyd, j'ai entendu des militants du sud global qui font face à des risques pour leur sécurité personnelle en protégeant simplement leurs droits fondamentaux, comme celui de boire de l'eau potable ou de respirer de l'air pur. L'Amazonie est tout particulièrement devenue l'un des endroits les plus dangereux pour les militants écologistes, les auteurs des crimes à leur égard échappant souvent à la justice car les gouvernements ferment les yeux sur ces abus. Au cours d'une session de discussion, un militant a d’ailleurs souligné qu’"en protégeant une voix, vous en responsabilisez mille".